La valse des ouvertures et fermetures de magasins, les vitrines trop longtemps vides, l’arrivée de fast-foods, Lausanne connaît. En 2016, la Commune publiait une étude montrant que si, au milieu des années 1970, il y avait en ville six emplois dans le commerce pour 100 habitants, en 2014 leur nombre était tombé à quatre. Pour phosphorer sur le problème et les solutions à y apporter, la Fondation pour le commerce lausannois – ex-City Management – s’est associée à l’Université de Lausanne pour la deuxième année consécutive.

Inscrits à un cours baptisé La ville de demain, des étudiants de la Faculté des hautes études commerciales se sont faits consultants auprès de petits commerçants du centre-ville. Ils ont présenté la semaine passée les conclusions de leur travail auprès des dix enseignes lausannoises volontaires pour cette expérience.

Premier diagnostic: une bonne partie des commerces manquent cruellement de présence sur Instagram, roi des réseaux sociaux pour la nouvelle génération de consommateurs. Mais ce constat cache aussi un paradoxe, car les étudiants reconnaissent aussi les effets secondaires du tout en ligne. «En se tournant vers les technologies, les gens ont perdu le sens du partage et le besoin de sortir de chez eux. Il faut lutter contre cette déshumanisation des villes», lance l’un d’eux.

Dans l’air du temps

Pour rendre les rues commerçantes plus attractives, leurs pistes comprennent une plus grande solidarité entre commerçants, notamment pour créer ensemble des animations dans l’espace public. Ils plaident aussi pour plus de nature en ville, quitte à se laisser porter par l’enthousiasme. «J’imagine la ville de demain sans voiture, une ville-forêt», dit un jeune.

Des aspirations qui sont dans l’air du temps, mais qui ne manquent pas de faire réagir. «Sans voitures, comment allez-vous transporter vos achats?» réplique une commerçante. Mettre l’accent sur la relation humaine pour raviver le commerce? Doris Cohen Dumani, présidente de la Fondation pour le commerce lausannois, observe que les enseignes ne ménagent pas leurs efforts. «Certains s’investissent beaucoup dans leur rôle social. Malheureusement, le retour n’est pas toujours à la hauteur.»

Elle en appelle à une prise de conscience. «Pour que la ville reste vivante, il faut y maintenir le commerce.» La question intéresse les étudiants d’HEC. «Il y a eu beaucoup de demandes d’inscriptions cette année. Le cours va prendre de l’ampleur l’an prochain. Il y aura plus de places», se réjouit Fabrice Leclerc, chargé de cours à l’Unil et initiateur de ce module d’études pas comme les autres.

Trois commerçants en défis et en atouts

«Depuis quatre ou cinq ans, les clients sont devenus très volatils»

Bien connue dans le quartier de Marterey, la chocolaterie Noz a pignon sur rue depuis vingt-huit ans. Si la vente de douceurs n’est pas la plus menacée par le commerce en ligne, Anne-Lise Noz ressent bel et bien le vent du changement. «Depuis quatre ou cinq ans, les clients sont devenus très volatils. Auparavant, nous pouvions anticiper les quantités à produire avec une certaine régularité. À présent, il n’y a plus de logique. Même lorsqu’il s’agit d’entreprises, les clients se décident de plus en plus à la dernière minute.»
Pour la commerçante, une partie de l’explication réside dans la généralisation des smartphones. «Les consommateurs sont désormais habitués à avoir accès à tout immédiatement.» La rencontre avec les étudiants de l’Unil l’a convaincue que fidéliser les clients passe par un meilleur storytelling, autrement dit un savoir-faire pour mieux se raconter et se mettre en avant, notamment sur les réseaux sociaux.
«Les commerçants ont bien compris la nécessité d’être présents sur le web, mais nous apprenons sur le tas comment utiliser ces outils. L’expérience des étudiants est particulièrement utile pour comprendre quels sont les leviers qui fonctionnent.»

«Même petits, nous avons
la chance d’être aussi artisans»

«Nous sommes petits, mais notre chance est d’être aussi artisans.» Nicole Bovet, qui tient Bovet Tissus, à la rue Centrale, avec son mari, Philippe, depuis de longues années, s’estime plutôt épargnée par la morosité qui frappe les commerces du centre-ville. Pour elle, la recette de son magasin de literie et de linge de maison est de proposer aussi des services, comme ceux d’une courtepointière, et d’avoir un atelier à disposition.
Mais ce n’est pas la confection de rideaux sur mesure qui a emballé les étudiants. «Nous avons une machine qui permet de régénérer les duvets pour qu’ils puissent être réutilisés. Nous avons été surpris de l’intérêt que cela a suscité chez eux.» Conseil de la jeune génération: valoriser cette offre qui répond à l’enjeu écologique de faire durer plus longtemps les produits de consommation. «En fait, nous le faisions depuis des années, mais nous n’avons jamais vu les choses sous l’angle de la durabilité.»
Comme d’autres commerçants, Nicole Bovet se dit ravie de l’expérience, même si les idées des étudiants se révèlent parfois peu réalisables. «Leur regard nous permet en tout cas de prendre un peu de recul sur notre activité.»

«Notre quartier est jeune et il doit encore se faire une place»

Ouvert il y a trois ans au Rôtillon, Caramel Beurre Salé surfe déjà sur une nouvelle tendance du petit commerce, celle des concept stores, en proposant tout en un de la déco, des vêtements féminins grande taille et même un petit salon de coiffure. «Pour se démarquer, il faut proposer une expérience d’achat, plaide Patrick Capt, cofondateur de la boutique. Ici, le client peut se sentir un peu à la maison.»
Les étudiants l’ont encouragé à booster sa présence sur les réseaux sociaux, mais le patron s’estime déjà bien armé à ce niveau. «C’est indispensable et cela fait une réelle différence. C’est notamment un vecteur pour proposer des événements à nos clients pour créer une proximité.» Le commerçant pose un diagnostic: «Le quartier du Rôtillon est jeune et il doit encore se faire une place dans le cheminement des consommateurs du centre-ville, alors que nous sommes à 50 mètres.»
Pour les étudiants, le rendre plus attrayant passe notamment par la création d’espaces de verdure et d’animations de rue. «Ça a été très bien dit dans ce cours. Créer un dynamisme est la responsabilité des commerçants, mais la Commune a un rôle à jouer en renforçant les aménagements», relève Patrick Capt. (24 heures)
Créé: 01.06.2019, 12h13